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Portrait de Gisèle Halimi

Un portrait de Gisèle Halimi, un combat contre l’injustice

A l’heure où la neutralité est jugée préférable dans les métiers du droit, où il faut faire attention aux prises de positions, Gisèle Halimi choisit de porter sa voix, de l’assumer et de se battre pour ce qu’elle est. En effet, pour être avocat, il faut prêter serment.

Longtemps inscrit dans le marbre un devoir d’obéissance, aux lois et de fidélité à l’Etat, jusqu’en 1982, l’avocat s’engage à vivre conformément aux « bonnes mœurs » et à obéir aux pouvoirs institués. Un respect inconditionnel qui dès lors efface toute prise de liberté, toute prise de position, tout engagement.

Pour Gisèle Halimi, qui a prêté serment contre son gré, il y a des lois injustes, qui transmettent idéologiquement le « patriarcat », « la mainmise des possédants », etc. Ce qui s’oppose à l’idée qu’un avocat est censé être neutre ? Puisqu’obéit à un système « inégalitaire ». Il devient dès lors un porte-parole, un défenseur étatique. Fort heureusement, une fois députée à l’Assemblée Nationale, Gisèle Halimi modifie le serment d’avocat en 1982.

Aujourd’hui, nous avons choisi de faire le portrait d’une grande dame, figure emblématique de l’histoire des droits des femmes et plus largement, de l’histoire de la France. 

Gisèle Halimi a fait de son métier un moyen de militer. Avocate, féministe, femme politique, son parcours retrace une soif d’égalité et de justice. Ses discours, ses écrits encore d’actualité, inspirent les femmes de tous les horizons. Elle est un modèle.

Un engagement dès le plus jeune âge, une fauteuse de trouble

Gisèle Halimi voit le jour dans la banlieue juive qu’est la Goulette, dans une Tunisie sous protectorat français. Issue d’une famille pauvre et juive et dominée par le patriarcat, elle subit sa condition de fille dès sa naissance. Pendant deux semaines, son père dissimule sa naissance. Considéré comme une catastrophe d’avoir une fille, il refuse d’admettre qu’il en a une, c’est une malédiction.

A 10 ans, elle sait qu’elle sera avocate. D’ailleurs, elle fait une grève de la faim, trois ans plus tard, pour ne plus servir ses frères. Ses parents capitulent.

A cet âge, elle a déjà choisi de défendre, de faire tomber l’injustice. Dès lors, elle déclare « je commençais en tant que victime ». Elle voulut mourir lorsqu’elle comprit qu’être femme symbolisait vivre avec un fardeau, un handicap. Toute cette rage d’injustice, cette soif de connaissance ne renforçaient que sa ténacité.

Dès ses 13 ans, l’éventualité du mariage fait surface. Elle refuse en voulant continuer sa scolarité. Elle veut travailler. Elle veut choisir son destin et ne le laisser entre les mains de personne d’autre.

Passionnée de littérature depuis le plus jeune âge, elle lit en cachette chez elle. Elle prend du plaisir à toucher les livres, à entrer en eux et à s’en imprégner.

« Je lisais en cachette, j’avais une boulimie de lecture »

Dans cette soif de savoir, se cache la volonté de comprendre pourquoi son destin est tracé avant même qu’elle n’ait le temps de faire quoi que ce soit, pourquoi sa condition de femme lui est toujours rappelée.

A ces interrogations, sa mère lui répond toujours : « parce que tu es une fille », « mais pourquoi pour eux c’est différent ? » « Parce que ce sont des garçons ».

De quoi laisser la frustration traîner et faire planer l’incompréhension. Il y aurait quelque chose d’inné, dans les genres qui expliquerait le pourquoi du comment. « C’est Dieu qui fait bien les choses ». Eh bien Gisèle ne croit pas en Dieu.

Elle convainc ses parents de continuer ses études. Boursière, ils n’ont pas à sortir un sou, sinon, ils auraient refusé. Ils ne voient pas d’un bon œil le fait qu’elle veuille se cultiver, contrairement à son frère en qui ils basent tous leurs espoirs. En effet, c’est lui qui fera l’honneur de la famille.

« Quand tu seras mariée tu feras ce que tu veux » répétait sans cesse sa mère… Gisèle ne pouvait contrôler ce sentiment d’une profonde injustice qui bouillait en elle. Alors, elle luttait de force contre le destin et devenait une fauteuse de trouble… La connaissance lui apparut comme un pouvoir premier.

Alors qu’elle était destinée à se marier, ne pas étudier et vivre pauvre, elle réussit son baccalauréat et part à Paris à 16 ans poursuivre des études de lettres. Considérée comme anormale, elle fuit sa destinée de femme jusqu’à devenir Avocate en 1949.

Une avocate engagée

La trajectoire de Gisèle Halimi est marquée par la constance et la radicalité. Elle souhaite être en phase avec son exercice d’avocate. En effet, à travers la défense de ses clients, elle souhaite se défendre elle-même. Elle se voit en eux.

« Si je ne suis pas d’accord avec les idées que mon client défend, je ne le défendrai pas »

Les premières affaires dans lesquelles elle s’est engagée la touchaient intrinsèquement. Franco-tunisienne, elle a vécu, elle a vu ce qu’était la colonisation. Dès le début, elle se sentait indignée par les lois, les règles qui étaient instaurées.

Une opposition à un système

Elle se met donc à travailler sur des affaires qui la touchent sur le plan personnel. C’est le cas des « évènements » de Tunisie et d’Algérie, des émeutes qui n’étaient pas encore appelées « guerre ». Il y avait un flou permanent qui compliquait l’exercice et permettait une accélération des procès politiques, des condamnations à mort pour montrer que le gouvernement contrôlait toujours la situation.

Ainsi, lorsqu’elle dû défendre les juridictions militaires d’Algérie de Tunisie, elle risquait sa vie. Elle plaidait des causes politiques dites « masculines ». Seuls les hommes avaient la parole pour défendre. D’ailleurs, pour représenter un homme, un peuple, il fallait être homme. On ne pouvait nécessairement pas être femme et parler de torture, de système colonial.

Souvent, Gisèle Halimi perdait un certain temps à être écoutée. Pris d’étonnement, les hommes, en la voyant parler du milieu de la guerre, de la révolution, de la torture, n’en croyaient pas leurs yeux. Plusieurs, fois, on lui dit qu’elle était « faite pour l’amour » et non pas le travail.

Elle continua de subir sa condition de femme : elle dû redoubler d’efforts et gagner en légitimité car personne ne la lui donnerait gratuitement.

Le procès de Djamila Boupacha est le dernier grand procès de la guerre d’Algérie et c’est Gisèle Halimi qui l’incarne.

Si elle avait déjà défendu des femmes et déjà été confrontée aux exactions de l’armée française lors de précédents procès coloniaux, elle n’avait jamais défendu une jeune Algérienne indépendantiste acceptant de parler publiquement du viol qu’elle avait subi par plusieurs parachutistes français. Ici, c’est donc bien cette configuration particulière où chaque engagement de l’une rencontre les combats et les expériences de l’autre (l’avocate et l’accusée, l’anticolonialiste et la combattante pour l’indépendance de son pays, et enfin « l’intellectuelle féministe » et la femme violée), qui donne lieu à la médiatisation de la seule affaire de viol de la guerre. Gisèle s’identifie en Djamila.

Elle consacre 8 ans à la cause de l’indépendance algérienne.

A travers ces procès, c’était le procès de la France qui avait lieu. Comment une femme pouvait se retrouver dans une affaire dans laquelle il y avait autant d’impacts ?

Une défense contre la loi

Gisèle Halimi définit le féminisme comme « la lutte la plus globale, la plus totale, la plus révolutionnaire pour les femmes comme pour les hommes […]c’est une vue globale de toutes les oppressions, d’argent, de hiérarchie. La femme possède ce terrible privilège de toutes les oppressions : celle de sa classe et de son sexe »


Une lutte pour l’avortement.

« Je préfère être l’opprimée que l’oppresseur »

Elle a toujours été fière d’être une femme.

Pour elle, les hommes avaient l’angoisse que les femmes soient les égales des hommes car le rapport de domination qu’ils instauraient serait dès lors démantelé.

La maternité n’est pas un destin ou une fatalité physiologique. La femme ne peut pas être enfermée dans ce carcan. Elle doit avoir le choix de se réaliser autrement, comme c’est le cas pour les hommes.

Gisèle Halimi a elle-même eu recours à des avortements clandestins.

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Le procès de Bobigny

En octobre 1972, à Bobigny, Marie-Claire Chevalier est jugée pour avoir fait le choix d’avorter avec le soutien de sa mère à la suite d’un viol à 17 ans. Elle fait appel à Gisèle Halimi, déjà fervente féministe. Cette dernière accepte immédiatement.

S’en suivent les procès Bobigny : Après l’acharnement et la ténacité de Gisèle Halimi ; Marie-Claire est relaxée… Parce qu’on a considéré « qu’elle n’avait pas délibérément ni volontairement choisi d’accomplir l’acte qui lui était reproché ». Elle n’aurait pas résisté aux « contraintes morales, sociales et familiales ». Autrement dit, l’avortement n’était pas son choix puisque Mlle Chevalier était inconsciente et influençable. Il reste un crime…

La réelle lutte se jouera donc lors du procès de sa mère, accusée d’être complice du crime. L’affaire devient tout de suite politique et sociétale. L’avocate choisit de faire comparaître des grands témoins : professeurs de médecine, philosophes, hommes politiques : ils n’ont pas de lien direct avec l’affaire mais ils viennent dénoncer publiquement la loi qui réprime l’avortement.

Le 17 janvier 1975 c’est l’aboutissement d’un long combat : la loi Veil qui légalise l’IVG est promulguée.

Le combat continue

Comme le disait Gisèle Halimi, il ne faut pas arrêter le combat. Les droits des femmes Caroline du Sud, une proposition de loi datant du 5 janvier 2023 propose de retirer toute possibilité d’avorter y compris en cas de viol ou de danger sont souvent remis en question. Par exemple, en pour la femme enceinte et surtout d’introduire la peine de mort pour celles qui le feraient tout de même.

Dans cette lignée, nous avons choisi d’interviewer My-Kim Yang-Paya, avocate associée chez Seban & Associés. Engagée dans la lutte des droits des femmes, elle est présidente et secrétaire générale de l’association Avocats Femmes Violences.

My-Kim Yang-Paya, avocate associée chez Seban & Associés, présidente et secrétaire générale de l’association Avocats Femmes Violentes

Anomia : Dans votre carrière, avez-vous ressenti des entraves en tant que femme ?

My-Kim Yang-Paya : Sincèrement non. Oui bien sûr, j’ai tout fait pour ne pas les voir pour me sentir sur un pied d’égalité. Pourtant il m’est souvent arrivé de me retrouver la seule femme dans des réunions de plus de 10 personnes…

Anomia : Simone de Beauvoir écrivait « On ne naît pas femme, on le devient » par le contexte, l’entourage dans lequel nous sommes ou encore dans la superstructure dans laquelle nous baignons. Pensez-vous avoir été perçue comme une femme avant d’être considérée comme avocate dans votre exercice ?

My-Kim Yang-Paya : Il peut arriver, exceptionnellement et heureusement de plus en plus rarement maintenant, que, lors de réunions, vous soyez sujette à des réflexions sexistes ou que votre interlocuteur tente d’instaurer un jeu de séduction. Il faut recadrer immédiatement les choses. Sinon je considère que dans mon exercice professionnel je suis considérée comme avocate peu importe mon sexe.

Anomia : Aujourd’hui, les choses ont beaucoup avancé lorsque l’on compare la situation à 50 ans en arrière. Pourtant, les inégalités persistent : en 2009, Gisèle Halimi publie son livre « Ne vous résignez jamais ». Pour elle, le combat était loin d’être fini, il ne fallait pas se reposer sur ses acquis et notamment concernant le droit des femmes qui est souvent remis en question. Qu’en pensez vous ? Sous quelle forme peut-on continuer de lutter ?

My-Kim Yang-Paya : Je suis 100% d’accord avec Gisèle Halimi, rien n’est jamais acquis en matière de droit des femmes. C’est un combat de tous les jours. Ce n’est pas encore ancré dans les mentalités, malheureusement dès qu’on ne les rappelle pas, qu’on ne punit pas, qu’on laisse faire des inégalités ou des propos sexistes, qu’on ne sanctionne pas le harcèlement sexuel et les agressions sexuelles, les droits acquis sont remis en question. Le fait d’inscrire dans la constitution le droit à l’avortement est l’une des belles choses de cette décennie.

Pour continuer la lutte, il faut agir à titre préventif en éduquant et informant et surtout en appliquant les textes existants qui sont souvent minimisés en matière d’atteinte aux droits des femmes.

Anomia : D’ailleurs, je ne sais pas pour vous mais j’ai beaucoup croisé de femmes (de tout âge) refusant de se définir comme féministes. Pas d’accords avec la mouvance actuelle (qui fait beaucoup parler) avec des mouvements comme me too, balance ton porc ou encore celui des femens. Elles trouvent que la radicalité ne sert à rien. Qu’en pensez-vous ?

My-Kim Yang-Paya : Certaines causes méritent et nécessitent des actions chocs pour alerter l’opinion publique.

Être féministe n’est pas un gros mot et encore moins une radicalité.

Ce qualificatif n’est d’ailleurs pas réservé aux femmes.

Anomia : À l’ère médiatique, beaucoup de procès ont lieu sur les réseaux sociaux. Dans beaucoup d’affaires, le jugement moral dépasse le jugement juridique. C’est le cas de beaucoup d’affaires concernant des acteurs, auteurs, personnalités dans le monde du sport etc. Que faut-il faire selon vous ? Est-ce positif de se permettre de juger, condamner une personne avant même que son jugement ait eu lieu ?

My-Kim Yang-Paya : C’est effectivement malheureux qu’on doive en arriver là. Mais la question est surtout pourquoi ? Ces alertes médiatiques n’ont pas pour dessein de juger et condamner une personne avant même son jugement mais c’est souvent un appel à témoin,  un SOS de femmes qui n’ont pas été entendues ou qui ont peur de ne pas l’être.

Anomia : De manière générale, Gisèle Halimi a défendu de nombreuses causes : elle a contribué grandement à l’évolution des droits des femmes, elle s’est engagée dans la lutte anticolonialiste, contre la peine de mort et pour la dépénalisation de la peine de mort. Elle a aussi modifié en 82, le serment des avocats qui jusqu’alors impliquait le respect inconditionnel aux lois, aux bonnes mœurs, etc. A quelle condition peut-on ou doit-on désobéir aux lois ?

My-Kim Yang-Paya : Quand elles sont contraires à sa conscience, à son ordre moral, sans hésitation.

Pour en savoir plus sur le sujet, nous vous invitons à lire notre article sur la place des femmes dans les cabinets d’avocats qui traite des inégalités qui persistent mais qui ouvre aussi sur différentes solutions qui peuvent changer la vie.

Vous trouverez cet article en cliquant juste en dessous.

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